L'évangile Punk-Rock
Le vingt-et-unième siècle sera punk. Greg Graffin qui prêche la bonne parole de Bad Religion en est persuadé. On n'est pas près de graver son épitaphe.
Vétéran du punk-rock made in California ? Superstar du hard-core mélodique ? Précurseur du pop-core ? Peu importe l'étiquette pourvu qu'on ait I'ivresse ! Celle, toute musicale, de The Gray Race,le nouvel album de Bad Religion, est à la fois intense, durable, et tonique. Il faut dire qu'après Stranger Than Fiction, son cru 94 controversé, le gang drivé par le chanteur et compositeur Greg Gralfin se devait de mettre sur orbite un brûlot rythmique de haut vol. Mission accomplie ! Délesté de Brett Gurewitz, remplacé au pied levé par Brian Baker ----- ex Minor Threats et Dag Nasty -----, Bad Religion, qui appartient à la fois à la légende et à l'actualité du punk-rock, a affiné son hard-core mélodique à haute teneur de paroles ironiques.
Rétroviseur... Ce groupe surle sur la première vague punk à l'aube des années 80. Ce n'est qu'en 1988 que Bad Religion rajoute de la mélodie dans ses riffs après trois années de
silence studieux. Punk lucide plus que révolté, l'éternel étudiant en médecine, Greg Graffin, et ses acolytes propulsent désormais de leurs amplis du pop-core. Leur mixture musicale est
un astucieux cocktail de Buzzcocks et Stiff Little Fingers lancés à tout berzingue. Les deux évangiles de Bad Religion sont alors Suffer (88) et No Control (89). Le quintette est reçu cinq sur cinq : les mordus de punk des cinq continents se convertissent à Bad Religion. Le casting ? Greg Graffin (chanteur et compositeur), Brett Gurewitz (guitariste, compositeur et patron du label Epitaph), l'ex-Circle Jerk, Greg Hetson (guitare), Jay Bentley (basse), et Pete Fineston qui a passé ie relais à Bobby Shayer. Prolifiques et désinvoltes, les stars punks se fient à leur étoile :
plutôt que de se perdre en se répétant comme tant d'autres, ces musiciens inventifs injectent davantage de mélodie dans leurs riffs. Ironie du sort... Leurs trois albums suivants Against The Grain (90), Generator (92'), et Recipe For Hate (93) sonnent à contre-courant de leurs disciples grunge, alors au nirvana des charts, qui lacèrent leurs jeans en concert.
On ne les changera pas... Les Bad Religion n'en font qu'à Ieur tête. Punks ils étaient, punks ils restent. Mais toujours à leur manière ! Entre deux avions, harassé comme après un concert, Greg Graffin, le pape de Bad Reiligion, confesse à Best son credo punk...
Le guitariste Brett Gurewitz, qui écrivait avec toi les chansons de Bad Religion, a définitivement quitté le groupe. Il n'était d'ailleurs intervenu que partiellement dans le précédent album Stranger Than Fiction. Désaccord parfait ?
Mais pas du tout ! Brett a simplement jugé préférable de concentrer son action sur la gestion du label Epitaph que nous avons créé ensemble. C'était indispensable. Epitaph a accueilli certains disques de Bad Religion et il s'est ouvert depuis à de nombreux autres groupes. En fait, Brett ne souhaitait plus faire de la musique, il voulait en vendre...
Du coup, c'est Brian Baker qui a pris le relais...
D'un côté, c'était pour moi un fardeau d'écrire seul The Gray Race. De l'autre, j' avais rarement ressenti une telle Iiberté d'expression intérieure. Brian compte parmi les meilleurs guitaristes de l'histoire du punk-rock. Quand on a I'occasion de travailler avec une telle pointure, on ne se pose pas de questions.
Votre punk-rock est devenu de plus en plus mélodique au fil des années. Comment expliques-tu cette évolution ?
Bad Religion a été, et reste, un vrai groupe de punk-rock, avec un jeu hyper-rapide, saccadé, et instinctif. Mais si tu écoutes attentivement ou si tu passes nos disques au ralenti, tu t'apercevras que les mélodies de base sont de véritables folksongs au sens traditionnel du terme. J'ai envie d'ajouter que nos enregistrements sont à présent de meilleure qualité.
Un certain nombre de groupes, tels Pearl Jam et Soundgarden, citent Bad Religion comme père musical, Les reconnais-tu à ton tour comme les fils musicaux de Bad Religion ?
Tu aurais dû citer aussi Offspring qui est un groupe vraiment formidable... Tu sais, c'est très gratifiant pour moi de savoir que nous avons pu les influencer. C'est le signe que Bad Religion produit une musique consistante. Si ces musiciens viennent goûter un peu à notre assiette, c'est qu'ils trouvent quelque chose de bon et de rare à déguster. Je suppose aussi que Bad Religion, qui n'est pas né de la dernière pluie, est pour eux un repère historique nécessaire à cette époque où tout devient de plus en plus provisoire et baigne dans la confusion. D'une manière générale, j'apprécie la démarche de ces groupes, qui consiste à venir se ressourcer aux racines du rock n'roll. Du coup, des groupes comme Offspring produisent autre chose que ces hits sous-vide que les radios américaines nous débitent à longueur de journée.
Que penses-tu du revival punk-rock aux USA ?
J'y vois d'abord une affaire commerciale. Il s'agit de produire une nouvelle mode, une de plus. C'est d'ailleurs le cas pour la plupart des revivals. Seul intérêt. et non le moindre : il est cette fois-ci question d'un mouvement-clef du rock n'roll. J'aimerais seulement que ce coup médiatique offre un gros plan sur le contenu du punk-rock, au-delà des tics et des grimaces des musiciens. Plus qu'une affaire de coupe de cheveux, le punk est une des racine du rock qui permettra de créer Ie rock du vingt-et-unième siècle.
Nous sommes très loin du punk british made in Sex Pistols...
Un certain style de punk anglais de la fin des seventies ne m'intéresse pas, les musiciens concernés se reconnaîtront d'eux-mêmes... Cet aspect clinquant, jetable, vestimentaire, superficiel, très mode, représente pour moins Ie pire du punk. A cause de cette vague nauséabonde, tout le monde a voulu se persuader que le punk était mort en 1983. La mode punk a tué la vague punk. Mais le véritable sentiment punk-rock ne pouvait pas disparaître car il est inscrit dans les racines du rock. Le punk vient de loin, il est donc fait pour durer ! Après la mode qui les a hissés au sommet des charts, Ies groupes punk se sont faits plus underground. Il n'en ont parfois été que meilleurs... Et puis, on le sais bien, chaque mode produit plus tard son revival. Plus rien à ce niveau ne nous surprend ! (rires)
Pas de regrets d'avoir quitté ton label indépendant Epitaph pour une major ?
Non. Je suis persuadé d'avoir fait le bon choix. Epitaph n'avait pas les moyens d'un important réseau de distribution. Un groupe de rock peut éventuellement refuser une certaine forme de commercialisation qui ne lui correspond pas. Mais je n'ai jamais rencontré de vrais musiciens, quelles que soient leurs opinions, qui ne souhaitent pas être largement distribués.
Tu as déclaré un jour que Bad Religion était seulement pour toi un hobby. Mais Bad Religion enregistre en moyenne un album par an... Provocation ?
C'est une manière ironique de dire qu'il n'est pas souhaitable de consacrer sa vie à une seule actirité Les musiciens rock sont en général trop coincés par les contraintes du business.
IIs sont souvent piégés par leur insatiable besoin de popularité. Du coup, ils ne font rien d'autre, ils ne profitent pas des différentes lacettes de la vie. Moi, tu vois, je ne veux pas vivre comme ça ! (rires)
L'attitude punk de Bad Religion est davantage modelée par I'ironie que par la colère.. .
Normal... Si tu veux communiquer avec quelqu'un, tu ne dois pas être en colère. La colère est une émotion primaire qui te ferme aux auffes et t'empêche de comprendre ce qui se passe. Quand quelqu'un est en colère, la seule chose à faire est qu'il comprenne pourquoi il est en colère. Je suis persuadé que I'essentiel consiste à comprendre les individus et les situations. L'ironie favorise la lucidité, laquelle tue la colère !
Quel est malgré tout ton principal sujet de colère ?
Je peux le résumer en un seul mot : l'ignorance ! Et c'est devenu très facile d'être ignorant aux États-Unis. Les Américains sont fascinés par la télévision. Et les télévisions colporte tout ce qui peut exister de plus stupide dans ce pays. Ces télés tuent la pensée et affaiblissent la lucidité des gens. Ce média puissant et omniprésent montre ce que tu dois acheter, cornment tu dois vivre, que tu sois blanc ou noir. En fait ta télé ne pousse pas les gens à vivre, elle ne fait que les confiner dans une survie de plus en plus virtuelle.
Gilles Demurgé